Appuyer l’utilisation efficace des données de santé en République Démocratique du Congo avec DHIS2

Lors d’une mission en RDC fin novembre – début décembre 2021, l’équipe de recherche travaillant sur le design pour l’utilisation des données, dirigée par HISP UiO et HISP WCA, a identifié les bonnes pratiques d’utilisation des données, répertorié les défis sur le terrain afin de proposer des solutions à partir des outils d’analyse intégrés de DHIS2, et ce pour permettre un impact concret sur des programmes de santé tels que la tuberculose, le paludisme, le PEV et autres.


Le Professeur Jørn Braa et l’équipe de HISP WCA visitent une zone de santé en RDC

Au cours des dernières années, les chercheurs HISP de UiO ont mené une recherche avec divers autres groupes HISP et ministères de la santé afin d’identifier les obstacles à l’utilisation des données, en particulier au niveau sous-national. Ces activités de recherche visent à faciliter des interventions ciblées telles que la conception de produits d’information utiles, la résolution des problèmes de données manquantes et le renforcement des capacités pour l’analyse des données. C’est ainsi qu’une équipe dirigée par le professeur Jørn Braa et HISP West and Central Africa (WCA) a mené, au cours du dernier trimestre 2021, une évaluation de l’implémentation du DHIS2 en tant que système d’information de gestion sanitaire (SIGS) en RDC . L’équipe a visité 5 zones de santé, des établissements de santé ainsi qu’un certain nombre d’acteurs du SIGS dans les provinces de Kinshasa et du Haut Katanga afin d’ évaluer le SIGS de la RDC, en mettant l’accent sur l’utilisation des données à tous les niveaux.

DHIS2 a été mis en œuvre en RDC en tant que SGIS à l’échelle nationale en 2013 et est utilisé pour la planification et la gestion des programmes de santé aux niveaux des zones, provinces et au niveau national. Cela a été rendu possible grâce aux efforts du gouvernement de la RDC, de HISP et des partenaires dont Gavi, le Fonds mondial (GF), USAID, CDC et MEASURE Evaluation (ME) entre autres, dont le soutien à des programmes de santé spécifiques tels que le paludisme, le VIH, la tuberculose et le Programme élargi de vaccination (PEV) ont contribué au renforcement du SIGS de la RDC dans son ensemble.

En évaluant la contribution des données sanitaires à la prise de décision factuelle en RDC, l’équipe de recherche HISP-UiO a constaté que malgré la sous-utilisation d’outils numériques comme DHIS2, la saisie et l’utilisation des données demeurent routinières pour la vaccination, la tuberculose, le paludisme et autres programmes de santé. Cette utilisation efficace des données de santé a lieu en dépit des défis tels que la fluctuation du financement, la fragmentation organisationnelle et les problèmes d’infrastructure. L’équipe a donc collaboré avec les parties prenantes locales afin de développer des outils d’analyse de données dans DHIS2 pour améliorer les pratiques d’utilisation des données existantes et cela, en augmentant la qualité des données et l’efficacité des rapports.

Collecte de données : Atteindre l’exhaustivité malgré les problèmes d’infrastructure

La RDC compte une population d’environ 90 millions d’habitants. Ce vaste pays est divisé en 519 zones de santé réparties dans 26 provinces. Les données de routine sur les indicateurs clés dans les zones de santé sont collectées dans les établissements de santé de chaque zone. Les agents de santé communautaires au sein d’une zone de desserte recueillent des données sur des formulaires papier qui sont ensuite remis à l’établissement de santé, où ces formulaires sont intégrés aux autres rapports papier du même établissement.

À la fin d’une période de déclaration, les établissements envoient leurs données sur papier au bureau de coordination situé dans la zone de santé. Ces données seront incluses dans un rapport plus élaboré comprenant aussi des données sur les résultats du programme, la gestion des stocks et la surveillance des maladies. Les rapports sont ensuite saisis dans le Système National d’Information Sanitaire (SNIS) qui est la plateforme nationale DHIS2 de la RDC pour la gestion des informations sanitaires dans les zones de santé.

Bien que la saisie décentralisée des données dans DHIS2 soit disponible dans certains grands établissements de santé dotés d’une alimentation électrique et d’une connectivité Internet fiable, la majorité de la saisie de données est effectuée de manière centralisée dans les zones de santé. L’équipe a observé, dans les sites visités, un nombre suffisant de personnel pour effectuer la saisie des données de tous les établissements de santé sauf à Kikula où une seule personne est principalement responsable de cette tâche. Cependant, un manque d’ordinateurs connectés à Internet et l’alimentation en électricité défaillante entravent la saisie de données dans les établissements.

Dans le cadre de son projet à Kikula et Kapolowe, MEASURE Evaluation avait financé l’approvisionnement en ordinateurs portables ainsi que les frais Internet mensuels dans 63 établissements de santé afin de faciliter la saisie de données au sein des établissements. L’expérience a été positive pendant environ 2 ans. L’arrêt du financement a engendré la détérioration des appareils, sans remplacement, ni entretien. Un financement adéquat permet donc la saisie décentralisée des données dans les établissements ainsi que l’amélioration de la qualité des données dans le SNIS.

Le Programme National de Lutte contre la Tuberculose (PNLT) est un exemple de saisie et d’utilisation des données car il s’appuie sur les données collectées et acheminées dans les centres de diagnostic et de traitement sanitaire (CSDT), puis saisies dans DHIS2 au niveau de la zone de santé pour suivre les performances du programme. Il a été constaté qu’à la date d’octobre 2021, les données sur la Tuberculose, la co-infection VIH/tuberculose et le traitement de 2061 CSDT étaient toujours systématiquement collectées sur des formulaires de déclaration standardisés en format papier. Un taux d’exhaustivité de 92,8 % avait d’ailleurs été atteint en 2020. Ces formulaires étaient validés dans les centres, puis transmis aux zones de santé pour la saisie dans DHIS2. Les données DHIS2 sont exportées vers MS Excel où les gestionnaires au niveau de la zone de santé les utilisent pour soutenir l’analyse de routine et la prise de décision. La situation est similaire pour les programmes tels que le PEV et le paludisme où les données DHIS2 sont intégrées aux rapports mensuels. Ces rapports incluent des évaluations de l’exhaustivité et de la rapidité, un examen des indicateurs clés tels que la prestation de services, la détection de cas et des recommandations d’action concrètes.

Aux niveaux provincial et national, cela permet aux gestionnaires de programme d’avoir une vue d’ensemble afin de, par exemple, permettre au programme de lutte contre le paludisme d’identifier les provinces avec un écart supérieur à 10 % entre les cas de paludisme identifiés et les cas traités et de suivre les ruptures de stock d’antipaludéens pour planifier un suivi ciblé.


Saisie et utilisation de données au niveau local en RDC généralement sur format papier en raison des problèmes d’infrastructure

Un défi identifié avec la collecte de données était l’obsolescence de certains outils de saisie de données sur papier en comparaison aux versions actuelles du SNIS. On peut citer par exemple les formulaires de surveillance et la section de gestion des stocks des ensembles de données du PEV. Les agents de santé communautaires et autres utilisateurs ajoutent manuellement des colonnes supplémentaires aux formulaires afin de saisir toutes les données requises. Malgré les restrictions rencontrées, le taux de complétude des données du SNIS dépasse systématiquement 80% au sein des zones de desserte, des zones de santé et des provinces. Cela démontre la bonne formation et l’engagement de l’équipe du SIGS ainsi que le soutien des donateurs et des partenaires techniques dans la mobilisation des ressources et la formation pour soutenir ces efforts.

Documenter les bonnes pratiques d’utilisation des données et les appuyer avec les outils DHIS2

Bien que l’obtention régulière de données précises dans DHIS2 soit un accomplissement, la valeur de ces données réside dans la capacité des gestionnaires de programme et autres parties prenantes à les utiliser pour évaluer les performances et prendre des décisions factuelles. En RDC, l’équipe de recherche HISP a observé de bonnes pratiques à différents niveaux dans l’examination et la validation des données et dans leur utilisation pour la conduite d’actions ciblées :

  1. Culture d’utilisation des données aux niveaux organisationnels inférieurs : Dans les établissements sanitaires et les zones de santé visitées, les données sont validées dans un premier temps, puis présentées et analysées lors des réunions mensuelles d’évaluation des données et de suivi des performances. Une fois les données présentées et analysées, des recommandations sont alors préconisées pour piloter des actions dans les établissements et les zones de santé. Les actions des mois précédents sont également examinées pour en mesurer la conformité et évaluer l’impact. A titre d’exemple, à la fin de chaque trimestre, les responsables CSDT chargés du suivi du programme TB analysent les données TB produites avant transmission à leur zone de santé. L’évaluation comprend l’examen de la qualité des données, l’évaluation de la cohorte mise sous traitement un an plus tôt, l’évaluation des médicaments antituberculeux et l’analyse des indicateurs clés du PNLT.

  2. Improvisation pour l’analyse des données : DHIS2 est reconnu comme une plate-forme polyvalente capable d’effectuer des analyses complexes et de les présenter sous forme de rapports pour une utilisation facile. En raison des limitations d’infrastructure, la plupart des établissements de santé n’ont pas accès à la plateforme DHIS2 du pays. Dans les zones de santé où l’électricité et la connectivité Internet sont disponibles, un service Internet lent, ainsi que des performances de serveur faibles, rendent souvent l’analyse des données fastidieuse. Compte tenu de ces obstacles, les utilisateurs téléchargent fréquemment des données à partir de DHIS2 et effectuent les analyses hors ligne dans Microsoft Excel. Cela souligne la volonté des équipes du SGIS d’utiliser ces données, même en dehors du DHIS2.

  3. Bonne documentation et tenue de registres : La culture d’utilisation des données en RDC est fondée sur de bonnes pratiques de documentation grâce aux Documents Normatifs contenant des SOPs pour la saisie et l’utilisation des données qui servent de référence dans les établissements et les zones de santé où ils peuvent être disponibles. Cependant, le professeur Braa et son équipe ont découvert que les SOPs sont hébergées dans des systèmes autonomes où les données circulent lentement d’un niveau à un autre. De plus, seules les données compilées pour le niveau directement inférieur sont disponibles. Par conséquent, les utilisateurs des structures coordinatrices et des zones de santé ne peuvent analyser leurs données seulement par rapport aux unités inférieures dans la hiérarchie des unités organisationnelles. L’utilisation des données pour la prise de décision factuelle serait grandement améliorée par une analyse à plusieurs niveaux pour encourager l’évaluation entre pairs et l’échange de connaissances.

Adaptation et amélioration des outils d’analyse locaux hors ligne dans DHIS2

Les membres du SGIS en RDC apprécient l’utilisation des données au sein des différents niveaux visités de la hiérarchie des unités organisationnelles. Cependant, il existe des problèmes de saisie et de validation des données qui ont eu un impact négatif sur la qualité des données et en ont limité la capacité d’utilisation. Des erreurs résultant de la collecte de données sur papier ou de la saisie manuelle dans DHIS2 ont par le passé produit des résultats inexacts susceptibles d’induire en erreur l’orientation des interventions politiques.

Un exemple d’erreurs résultant d’une validation erronée aux niveaux inférieurs : la déclaration de 17 000 nouveaux cas de tuberculose enregistrés dans un établissement en un seul mois. Cette erreur non détectée aux niveaux de l’établissement, ni de la zone de santé et de la province, n’a été découverte qu’une fois la déclaration disponible niveau national. Les outils de qualité des données DHIS2 tels que les règles de validation qui peuvent aider à valider et à corriger ces valeurs erronées sont déjà en place dans le système de la RDC, mais les routines autour de leur utilisation doivent être renforcées.

La qualité des données résultant des analyses manuelles, auxquelles les utilisateurs ont eu recours en raison de problèmes d’infrastructure, est affectée par l’absence de données démographiques dans les établissements de santé. La plupart des établissements visités ne disposaient pas de données sur la population au sein de leur zone de desserte. D’autres établissements ont leurs propres populations cibles définies par le Programme PEV dans le cadre de la couverture en antigènes. Ces défis impactent les utilisateurs du SNIS et limitent considérablement le potentiel du DHIS2 en RDC.

En utilisant comme dénominateurs les populations cibles, lorsqu’elles sont disponibles, en plus de la proportion calculée au sein de la population de la zone de desserte d’autres établissements, l’équipe de recherche HISP a développé des prototypes d’outils dans Excel qui ont simplifié l’analyse des données hors ligne dans les établissements et les zones de santé. Cette initiative a stimulé l’utilisation des données et l’amélioration de la qualité des données.

Certains de ces outils comprennent des tableaux de bord pour la couverture des prestations de service au niveau des établissements et des districts. L’équipe a ensuite élaboré des tableaux de bord dans DHIS2 pour visualiser les performances des établissements sur une période de 12 mois grâce aux indicateurs tels que les taux d’abandon et la couverture des services. Ces tableaux de bord dynamiques rendent inutiles le téléchargement manuellement des données du DHIS2 ainsi que le calcul des indicateurs à l’aide de d’Excel car les visualisations sont mises à jour automatiquement lorsque les données d’un nouveau mois sont saisies dans le DHIS2. Cela facilite le travail des utilisateurs locaux et améliore la qualité des données car les erreurs de validation qui entraînaient auparavant des données de mauvaise qualité sont identifiées et résolues localement à l’aide des outils intégrés de DHIS2. L’équipe de recherche espère que ces prototypes pourront être davantage adaptés à d’autres zones du pays.


Un tableau de bord DHIS2 présentant la couverture des services dans les zones de santé en RDC

De plus, certains outils papier pour la collecte de données ainsi que les guides pour leur analyse étaient obsolètes. On peut citer entre autres les annexes des Documents Normatifs relatifs à la gestion et aux opérations du SGIS. Il est donc recommandé de mettre à jour les directives de gouvernance et de procédure, les SOPs ainsi que les formulaires de collecte de données afin de refléter les directives de pratique actuelles. Lorsque cela est possible, les formulaires papier peuvent être remplacés par des outils numériques pour une meilleure application des règles de conformité en matière de qualité des données.

Autres défis et prochaines étapes

Plusieurs défis restants restreignent l’utilisation des outils DHIS2 en RDC. L’infrastructure limitée entraîne une saisie des données largement centralisée, et les travailleurs au niveau des établissements et des zones ont souvent des compétences d’analyse de données insuffisantes pour obtenir des informations pertinentes à partir des données disponibles. De plus, la structure de gouvernance du pays avec différents ministères travaillant en silos rend la coordination difficile. Une délimitation des devoirs et responsabilités entre les ministères et organismes résoudrait le problème.

Des réunions régulières de coordination des parties prenantes pour suivre le plan de renforcement du SIGS, gérer les besoins, coordonner les initiatives SIS et la mobilisation des ressources favoriseraient également la collaboration et minimiseraient les conflits.

De plus, la qualité et l’utilisation des données, en particulier aux niveaux inférieurs tels que les établissements et les zones amélioreraient la décentralisation de la collecte des données, le développement des capacités d’analyse des données ainsi que l’amélioration des infrastructures.

Malgré de nombreux défis, le SIGS national basé sur DHIS2 est une réussite. Le système a été clé dans la gestion de nombreux programmes de soins de santé – y compris la tuberculose, le paludisme et le PEV, et ce en soutenant la collecte de données complètes et en temps opportun ainsi que la prise de décision factuelle. Grâce à l’appui du gouvernement de la RDC, ainsi qu’aux partenaires financiers et d’implémentation, l’utilisation des données sanitaires à tous les niveaux s’améliore au fil des années.

Les infrastructures limitées, le manque de compétences clés dans l’analyse des données et les goulots d’étranglement administratifs limitent certes une utilisation exhaustive des systèmes. Cependant, les recommandations faites par l’équipe de conception et d’utilisation des données de HISP UiO et HISP WCA pourraient en améliorer l’efficacité, favoriser une meilleure qualité des données et le renforcement des capacités pour une décentralisation de l’utilisation des données du SIS en RDC.

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